Décryptage : Finances locales : les collectivités sont-elles responsables du dérapage des comptes publics ?

Quelques clarifications s’imposent concernant les finances locales et le dérapage des comptes publics

L’annonce d’un dérapage du déficit public à 5,6% (voire supérieur à 6% du PIB) a été assortie du reproche adressé aux collectivités locales de « dégrader les comptes 2024 de 16 milliards par rapport au programme de stabilité 2024-2027 ». Si la trajectoire des finances publiques suscite de légitimes inquiétudes, la manière dont les termes du débat sont posés depuis début septembre sont en revanche discutables tant sur le fond que sur la forme.

Profitons donc de cette mise en cause des collectivités locales dans l’actuelle dégradation des comptes publics pour rappeler d’une part quelques données et ordres de grandeurs objectifs et d’autre part quelques concepts.

Collectivités locales et administrations publiques locales (APUL) : des notions à ne pas confondre

Les collectivités locales sont régulièrement pointées du doigt à partir de données plus larges portant en réalité sur les administrations publiques locales (APUL) : les APUL comprennent les collectivités locales mais aussi les organismes divers d’administration locale (ODAL). Ces ODAL correspondent principalement aux établissements publics locaux (CCAS, SDIS, organismes consulaires, …). A noter que deux structures atypiques et de taille conséquente sont classées en ODAL : Ile-de-France Mobilités et la Société des Grands Projets (SGP, ex-société du Grand Paris). Or, cette dernière à elle seule porte 28,8 Mds€ de dette …

Ainsi, au même titre qu’à côté de l’Etat existent des organismes divers d’administration centrale (ODAC), les collectivités locales doivent être distinguées des ODAL afin d’éviter toute confusion et ne pas « gonfler » leur impact sur les finances publiques …

Par ailleurs, si l’on regarde dans le détail, les collectivités locales sont en excédent à 3 reprises au cours des 5 derniers exercices … leur contribution à la dégradation continue des comptes publics semble donc relativement limitée.

Source : OFGL, les finances des collectivités locales en 2024, Juillet 2024

Les collectivités locales, un poids limité dans la dépense et la dette publique mais premier investisseur public

En 2023, les APUL ont contribué à hauteur de 315,6 Mds€ au montant total des dépenses publiques – dont 301 Mds€ pour les seules collectivités locales – soit moins de 20% du total des dépenses publiques.

Source : Le compte des administrations publiques en 2023, INSEE Première, mai 2024

Mais, si l’on se concentre sur les dépenses d’équipement – la formation brute du capital fixe (FBCF) en comptabilité nationale – alors, le poids des collectivités locales est nettement supérieur puisqu’elles sont le premier investisseur public. En 2023, la FBCF de l’ensemble des APUL s’élève à 63,6 Mds€ dont 61 Mds€ directement supportées par les collectivités locales !

Et les collectivités locales vont devoir accentuer cet effort d’investissement si la France veut atteindre les objectifs de décarbonation fixés à horizon 2030 et 2050 : Selon une très récente estimation réalisée par I4CE, les collectivités locales devraient investir 19 Mds€ en moyenne par an dans la transition écologique jusqu’en 2030 pour respecter les engagements climatiques pris. Or, les collectivités n’ont investi dans ce domaine « que » 10 Mds€ en 2023 …

Quant à la contribution des collectivités locales à l’endettement public, il demeure somme toute limité puisque sur une dette publique de 3 101 Mds€ fin 2023, celle des collectivités s’élève 209 Mds€, soit 6,7% de la dette publique totale ! Pour l’ensemble des APUL, la dette s’établit à 250 Mds€, soit 8,2% du total.

Hausse des dépenses, déficit et besoin de financement : du bon usage des concepts …

Au sens des critères de Maastricht et selon les comptes nationaux, le compte des administrations publiques se solde chaque année par une « capacité de financement » ou un « besoin de financement ». Le « déficit public » désigne le besoin de financement des administrations publiques.

Concrètement la capacité ou le besoin de financement des différents niveaux d’administration publique est la différence entre le total (hors dette) de leurs recettes et de leurs dépenses sur une année. Portant tant sur les dépenses des sections de fonctionnement que d’investissement, ces dernières – en tant que dépenses publiques – bien qu’accroissant le patrimoine contribuent au déficit public.

Pour rappel, en 2023, le besoin de financement de l’ensemble des administrations publiques s’est élevé à 153,9 Mds€. La contribution des collectivités locales s’est élevée à 5,5 Mds€, soit moins de 4% du total … Les raisons de l’apparition d’un tel besoin de financement en 2023 sont connues : inflation, révision du point d’indice, dépenses sociales, crise du marché de l’immobilier et hausse de l’effort d’équipement cohérent au regard du cycle électoral d’investissement (notamment dans la transition écologique). A quelques nuances près, les mêmes causes produisent les mêmes effets en 2024 qui effectivement se conclura par un nouveau besoin de financement des collectivités.

Enfin, outre les nombreuses réserves autour des chiffres extrapolés à partir d’une exécution budgétaire arrêtée en juillet 2024, l’évocation par le ministère des finances d’un dérapage des collectivités locales de 16 Mds€ ne correspondrait pas à un besoin de financement mais plutôt à une hausse des dépenses.

Déficit ne signifie pas déséquilibre budgétaire pour les collectivités locales

Rappelons qu’en cas de besoin de financement, les collectivités locales disposent de 2 leviers : mobiliser leur trésorerie et/ou recourir à l’emprunt. En 2023, les collectivités ont activé ces 2 instruments à hauteur de 21 Mds€ pour l’emprunt et de 3 Mds€ pour le fonds de roulement. En 2024, les collectivités vont une nouvelle fois et de manière plus massive activer ces 2 instruments.

C’est l’occasion de rappeler quelques éléments importants et distinctifs de l’Etat :

  • Après avoir massivement déposé leur trésorerie au Trésor, les collectivités depuis 2022 – et la hausse des taux d’intérêt – mobilisent cette ressource afin de ne pas sur-emprunter
  • L’emprunt des collectivités locales ne finance que les dépenses d’investissement contrairement à l’Etat qui y recourt massivement pour financer ses dépenses de fonctionnement
  • Enfin, déficit ne signifie pas déséquilibre, situation théoriquement impossible pour les collectivités locales …

Sujet à suivre au cours des prochaines semaines avec le débat parlementaire sur le PLF 2025 …

💬 Une note de Yann Doyen, Directeur des engagements de l’AFL.