Décryptage : le rapport sur les stations de montagnes face au changement climatique (février 2024)

Consciente des enjeux socio-économique et environnementaux qui entourent les stations de ski françaises, la Cour des Comptes a décidé d’étudier le sujet de manière approfondie dans un rapport publié ce mois de février 2024.

Les enjeux afférents aux stations de montagne sont particulièrement prégnants en France, puisque le pays est 2e mondial en termes de journées-skieurs. La France a pour spécificité de proposer aux touristes des stations de taille diverses. Les montagnes accueillent ainsi près d’un quart des nuitées touristiques sur le territoire.

La loi montagne de 1985 définit l’activité des remontées mécaniques comme un service public industriel et commercial. Les collectivités, et en particulier les communes à ce jour, sont donc directement impliquées dans les activités liées aux domaines skiables.

Le modèle économique du ski : des difficultés structurelles accentuées par le changement climatique

Depuis plusieurs années, une tendance à l’essoufflement.

En forte croissance jusqu’aux années 2000, la fréquentation des domaines skiables s’inscrit dans une tendance inverse sur ces dernières années.

Historiquement, selon un rapport du Sénat¹, trois facteurs ont dynamisé le modèle économique du ski :

  • Le flux de touristes-skieurs
  • Des infrastructures immobilières adaptées
  • Des remontées mécaniques en bon état de fonctionnement

Ces trois composantes ont assuré la pérennité du modèle sur plusieurs décennies : les infrastructures immobilières ont permis d’accueillir les touristes utilisant des remontées mécaniques.

Or, le constat dressé par la Cour des Comptes met en lumière l’enrayement de cette dynamique, avec une lente érosion de la fréquentation des stations de ski depuis 2009. Plusieurs raisons (hors considérations climatiques) expliqueraient cette évolution : vieillissement et non-renouvellement de la clientèle, obsolescence du parc immobilier et des infrastructures de remontées mécaniques, etc.

Ces constats sont d’autant plus problématiques pour les stations de ski que ces activités se caractérisent par une forte intensité capitalistique et une nécessité d’investir dans les infrastructures. Ces investissements ont vocation à être amortis par le biais des recettes liées à la fréquentation des domaines skiables, dans un contexte où cette dernière décroit.

 

¹ Rapport d’information n° 384, Patrimoine naturel de la montagne : concilier protection et développement, Sénat, février 2014.

Le changement climatique : un facteur supplémentaire de déséquilibre du modèle

En s’appuyant sur les travaux scientifiques, la Cour des Comptes a défini la vulnérabilité économique des stations de montagnes par le biais d’un indicateur qui comprend 3 composantes :

  • Vulnérabilité climatique (l’indicateur de vulnérabilité au changement climatique par station, l’altitude haute du domaine skiable permettant de prendre en compte la capacité des stations à déplacer en hauteur leurs pistes et durée moyenne d’ouverture des stations constatée sur les 10 dernières années.)
  • Poids économique de la station
  • Surface financière de l’autorité organisatrice.

 

Sur cette base, la Cour des Comptes estime que la quasi-intégralité des stations seraient touchées à horizon 2050. Elles soulignent néanmoins que le niveau d’impact climatique diffère d’une station à l’autre au regard de l’indicateur défini ci-dessus.

Concrètement, les effets du changement climatique en haute montagne peuvent prendre des formes multiples, en voici quelques exemples :

  • Pergélisol fragilisé (nécessité des travaux de renforcement)
  • Durée d’enneigement (réduit les périodes d’activité)
  • Raréfaction de la ressource en eau (difficultés à produire de la neige …)

Les magistrats concluent ainsi que la viabilité de certaines stations, ou de certaines parties de domaines skiables, est d’ores et déjà compromise à horizon 2030-2050.

Un défi de transition pour les acteurs de la montagne

La mise en place d’actions d’adaptation par les parties prenantes locales

Les acteurs de la montagne sont conscients de ces problématiques et proposent aujourd’hui plusieurs solutions d’investissement. Celles-ci peuvent majoritairement se décomposer en deux catégories :

  • Des investissements ayant pour objectif d’assurer la continuité des activités liées au ski aussi longtemps que possible (production de neige, déplacement de stations à plus haute altitude …) qui portent leurs fruits à court-terme mais présentent leurs limites à moyen-terme,
  • Des investissements de diversification (luges d’été, tyroliennes, parcs d’activités …) qui ont pour caractéristique d’être assez fortement subventionnés. Ces projets posent ainsi inévitablement des difficultés d’équilibre économique, en particulier pour les collectivités financeuses.

Ces deux approches semblent donc insuffisamment adaptées aux enjeux des stations de montagne. Néanmoins, la Cour des Comptes met en lumière des initiatives qui proposent des solutions pertinentes comme celle du Syndicat Mixte de Metabief.

Il ‘agit d’une démarche fortement financée et soutenue par le département du Doubs. L’objectif est de s’inscrire dans une démarche de transition à horizon 2040-2050 en passant de « station de ski » à « station de montagne ». Concrètement, cette stratégie se matérialise par un investissement dans le tourisme « quatre saisons » (activités de plein air) afin de « minimiser la perte des retombées économiques liées au ski, estimée à – 40 % pour le Haut-Doubs ». L’activité ski est ainsi maintenue à titre transitoire et passe par l’entretien des remontées mécaniques existantes.

Pour assurer le succès de la démarche un pôle ingénierie a été mis en place afin de « définir plus précisément les activités de diversification à développer ». Les acteurs socio-professionnels sont également concertés dans cette démarche, qui est portée à l’échelle du Haut-Doubs.

Vers une nouvelle gouvernance des enjeux d’adaptation en montagne ?

Cet exemple, caractérisé par la valeur de l’implication du département et des parties prenantes socio-économiques pose de manière plus générale la question de la gouvernance et de l’organisation des collectivités face aux enjeux de la montagne.

Dans ce cadre, la Cour des Comptes souligne  plusieurs éléments :

  • La planification écologique de l’Etat est insuffisamment opérationnelle pour les territoires de montagne
  • Les Régions pourraient jouer un rôle majeur et s’impliquer davantage dans ces sujets au titre de leur compétence de planification touristique
  • L’échelon communal, autour duquel est aujourd’hui centré la gestion des stations de ski, est insuffisant pour mettre en place de véritables plans d’adaptation à une échelle suffisamment large
  • En continuant de s’inscrire dans le modèle économique actuel du ski français, le niveau de subventionnement public ne pourra que s’alourdir compte tenu des projections climatiques. Cela conduirait progressivement à un enfermement des collectivités dans un sentier de dépendance au ski, les privant des marges de manœuvre permettant de développer un tourisme « quatre saisons »

Face à ces constats, les magistrats proposent plusieurs pistes de solutions, parmi lesquelles :

  • Proposer une gouvernance publique des données liées aux stations de montagne afin de mieux piloter leurs enjeux
  • Encourager des stratégies mutualisées de transition à l’échelle de regroupements de stations
  • Renforcer l’implication des différents échelons de collectivités
  • Mettre en place de véritables plans d’adaptation au changement climatique qui conditionnent le soutien des financeurs publics.

Instaurer un fonds d’adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes, alimenté par la taxe locale sur les remontées mécaniques.

📌 En savoir plus sur le rapport